29 décembre 2012

Je sais pas quoi inscrire

Qu’est-ce qu’un an? Le temps qu’il faut à notre planète pour faire le tour du Soleil. Voilà une vraie révolution. C’est propre aux terriens. Malgré notre rythme de vie qui accélère, la vitesse de la Terre reste imperturbable, on se demande comment elle fait.
Chez moi, à la fin de chaque cycle, j’ajoute un mot, une expression ou un acronyme à une liste de mon cru. Quelques lettres suffiront à me rappeler un évènement ayant marqué l’année, de mon point de vue. Il peut s’agir d’un évènement personnel, local ou mondial, cela importe peu. Ainsi, la naissance ou la mort d’un proche aura plus d’importance qu’un peuple « libéré ».
 Cette année, je suis embêté, aucun mot ne s’impose.
J’ai éliminé « Printemps arabe ». Le mot révolution fut employé à tort. Faire tomber une dictature est une chose, mais laisser le pouvoir à des religieux gâche la sauce. De plus, évaluer une révolution exige des années d’observation.
Les carrés rouges? Leurs multiples manifestations et l’originalité des slogans, pancartes et déguisements m’ont plu. Il y avait de la vie. Certains parlaient d’un réveil. Hum… ça concernait l’argent, sans plus. Je suis contre le transfert des frais aux travailleurs de la classe moyenne qui paient déjà 85% de ces frais, mais ils se sont battus. Étudiant, j’aurais adhéré à leurs rangs, on veut toujours payer moins.
La commission Charbonneau? Elle s’étalera sur deux ou trois ans et je n’ai pas regardé le spectacle à la télé. L’élection de Marois? Son gouvernement est trop faible pour parler d’un revirement.
L’entrée de la Palestine à l’ONU (malgré Harper et Obama)? Le jubilé de diamant de Babeth? La tentative de meurtre sur Marois? Il y eut tant d’élections à travers le Monde. Obama, Poutine, Hollande… etc.
Je suis allé voir la liste des disparus. Interminable cette liste, désespérante. Il y a trop d’entrées pour lire les noms et encore moins leur accomplissement. Pourtant, il ne s’agissait que de gens connus! Et puis, mourir est rarement un évènement, on meurt tous. Ces personnalités furent connues pour leur œuvre et non pour leur décès. Mis à part le nom de mon père, je n’ai jamais inscrit le nom d’un disparu pour caractériser une année.
Le sport? Il y a Armstrong, cet américain hautain et provocateur à qui on a retiré médailles et championnats. Il personnifie la fausse représentation et la tricherie à un niveau rarement vu. Sept Tours de France! Il risque la prison, car il a menti au Congrès. Ailleurs, aux J.O. de Londres, je me souviens de ce gars sans jambes qui courait avec des prothèses à ressorts. C’était ridicule, autant lui installer un réacteur dans l’cul!  Les records battus? Trop nombreux. La grève de la LNH? C’est particulier, joueurs et proprios qui se débattent dans une marmite remplie de fric. L’argent amplifie les défauts.
Cinéma? Littérature? Pas vu grand-chose au grand écran, je devrai cependant aller voir Lincoln et côté livres, les grand-mères se sont réfugiées dans le « soft porn » avec les 50 tons de gris et quelques autres mauvais livres du même genre. Je résume : Un bel homme intelligent et riche (il ne me manque que l’argent) fait des guiliguilis à une jeune fille aux poings liés. Ça s’est vendu par millions. Serait-ce l’éveil des sens sur le tard? C’est moins gênant d’acheter ces livres quand ils sont sur présentoirs.
Que dire des horreurs. On entend parler des horreurs se produisant aux É.-U., mais il y en a partout, à chaque moment. Des tueries, mais aussi des femmes violées qui meurent sans qu’un rapport de police ne soit rédigé. Les drames dits familiaux et innombrables, les enfants exploités, tenus ignorants ou tués pour leurs organes… etc. Choisir un fait c’est oublier les autres. Cette catégorie éclipse toutes les autres et… à chaque année. Sur ce plan, 2012 ne se distingue pas des autres années.
Il y a aussi les anecdotes et les exploits publicisés ou non. Le saut de l’homme Red Bull ayant quitté l’atmosphère grâce à son ballon gonflable, le buzz des médias sociaux, la tempête de neige du présent siècle (cette semaine!)… etc.
Qu’écririez-vous à côté de l’année 2012?
Grand-Langue

16 décembre 2012

Les vieux

Les Vieux
J’ai déjà effleuré le sujet, on en parlait à la radio dernièrement : l’administration d’un centre commercial au Saguenay a fait inscrire sur les tables de l’aire de restauration de ne pas s’y attarder plus de 17 minutes! Parait que les vieux s’y installent à demeure, ne dépensent à peu près rien, jouent aux cartes et nuisent aux clients en quête de places pour se restaurer.
Depuis la nuit des temps, les grands marchés furent des lieux des rencontres, lieux de rassemblement, lieux d’échanges commerciaux, des lieux où les idées et les opinions circulaient, des lieux où l’on découvrait ce qui venait d’ailleurs, où les modes s’imposaient, où on s’exposait, des lieux où les peuples se rencontraient. Aujourd’hui, ça n’a pas changé. Dans les marchés, chacun est bienvenu, il s’agit de lieux universels. Les commerçants souhaitent l’achalandage, les citoyens et consommateurs s’approprient cet espace commun.
Je ne vénère pas inconditionnellement les vieux, les enfants ou les handicapés, comme s’il fallait racheter son âme à longueur de journée face à un groupe ou un autre. Sauf qu’en ce qui concerne les aires communes de restaurations, on ne peut empêcher quelqu’un de les fréquenter sous prétexte de rentabilité. En cette période néolibérale, on se permet de dire que les vieux nuisent, car ils dépensent peu. Naguère, ce sont eux qui consommaient, ils ont donné naissance à ceux et celles qui consomment aujourd’hui. En deux mots, ajoutez des tables, prévoyez des aires plus vastes, plutôt que de les chasser, donnons-leur de l'espace. Notre climat favorise les rassemblements en ces lieux, assumons.
Cependant, chez les petits restaurateurs, à l’heure du midi, il me semble logique et respectueux de ne pas s’étendre avec son journal, ses cartes et ses « gratteux ». Tout le monde n’est pas sensible à la chose. Parmi nos vieux, il y a des malotrus. Ils l’étaient surement à 30 ou 50 ans, ils le sont encore. Le temps ne fait rien à l’affaire! La sagesse que l’on associe aux vieux fait parfois défaut. Quand il n’y a que douze tables dans un établissement et que trois d’entre elles sont occupées par quelques individus qui susurrent un café acheté trois heures plus tôt et que les clients du midi se pointent, je comprends que le proprio leur demande poliment d’aller se dégourdir dehors. Il faut faire la part des choses.
Le poids démographique des vieux augmente dans notre société. Ce n’est pas une raison pour imposer n’importe quoi aux autres. Il m’est arrivé d’aller faire l’épicerie avec mon grand-père. Même si notre panier débordait de victuailles il passait à la caisse rapide, sachant que la caissière ne s’obstinerait pas avec un vieux. Depuis, quand un vieux se pointe à la caisse rapide avec un plein panier, je sais que ce n’est pas innocent! Ce n’est qu’un exemple. J’aime aider les vieux, les écouter, mais, il y a des gens qui ne se sont jamais intéressés à quoi que ce soit, qui ne se sont jamais impliqué dans quoi que ce soit et qui croient que tout leur est dû, qui s'imposent partout avec leur vide intersidéral, qui rêvent d'un billet de loterie gagnant et qui ennuient les autres avec avec leurs opinions insignifiantes basées sur la Une du Journal. Le respect c’est multidirectionnel, même pour les vieux. C'est au nom des vieux que je respecte et que j'estime que j'écris ça.
Après avoir témoigné d’un tas d’exemples où quelques vieux ambitionnaient sur le pain béni, j’ai décidé d’écrire ce billet. Tout le monde a droit au respect et à la politesse. Ainsi, chez le boucher, au guichet de Loto Québec et à la bibliothèque il faut bien se comporter et au besoin, attendre. À bon entendeur salut!
Grand-Langue

2 décembre 2012

Actif jusqu'au bout

Cela s’est passé il y a deux ou trois ans, je rentrais chez moi. Nos lieux proches nous sont si familiers que l’on regarde sans voir les détails. Je venais de croiser un vieillard qui marchait en sens inverse. Tout en roulant, l’image de l’homme m’était restée en tête, sa démarche, son manteau… En entrant les emplettes, je me demandais encore ce que cet homme faisait là, il n’habitait pas le quartier. Sa silhouette me disait quelque chose. Sans que tout soit clair dans mon esprit je rejoignis le bonhomme. Il ne m’a fallu qu’un instant pour le reconnaitre. En criant son nom, un grand sourire apparut sur son visage, il monta dans la voiture et nous retournâmes à la maison.
J’ai connu Louis en 1979, avant de partir en voyage. Nous assistions ensemble à un cours d’espagnol. Il était responsable de l’entretien technique dans un hôpital et préparait sa retraite. L’homme est très cultivé. L’apprentissage des langues est un passetemps, il en parle huit ou neuf. Quelques années s’écoulaient parfois sans qu’on se visite.
Mais que faisait-il dans mon patelin? Il m’a expliqué que depuis quelque temps il avait localisé l'endroit où vivaient ses amis, ses connaissances. Il ne se séparait pas d’un calepin rempli de plans détaillés tirés de Google et annotés pour indiquer les menus détails comme le nombre de pas entre l’arrêt d’autobus et ma maison. Tout y était, les noms des rues, les repères, les circuits d’autobus, le temps qu’il fallait prévoir pour se rendre à destination, les divers horaires d’autobus et de trains. Plusieurs fois par semaine donc, il quittait sa femme pour une destination différente. Un jour, sur une route, en rase campagne, il aperçut un drapeau belge (son pays d’origine) sur la devanture d’une maison. Il descendit du bus, cogna à la porte et fit connaissance avec les occupants. Depuis, cette maison fait partie de ses destinations. Ses escapades se limitent à un rayon de 70 km autour de Montréal.
Je lui ai demandé s’il venait souvent chez moi et ce qu’il faisait en mon absence. Il m’a dit qu’il faisait le tour de la maison, du terrain, qu’il observait les environs, que les changements dans une vie se remarquent par de menus détails. Il revoyait le passé, jouait avec mon chien à travers la porte vitrée de la cour. Il s’installait ensuite dans la balançoire et mangeait parfois un sandwich avant de repartir. J’étais estomaqué! Ça fait tout drôle de savoir que quelqu’un vient voir chez vous si tout va bien… même en votre absence. Nous avons passé la soirée ensemble et avons discuté fort longtemps, malgré un problème de surdité qui le rend fou. Les échanges avec lui sont passionnants, il a vécu tant d’évènements, connu tant de gens. Ma conjointe l’adore, elle dit que c’est comme avoir un grand-père qui veille sur nous! L’homme est tellement poli, attentionné et il se souvient de chaque mot prononcé. Nous sommes allés le visiter chez lui. Il habite une grosse maison face à la Rivière des Prairies. Son épouse m’a dit qu’il préparait ses sorties la veille, il se demandait comment allaient les enfants, les parents, il se demandait s'il devait mettre en contact ceux qui avaient besoin des autres.
Je ne sais plus quel âge il a, 85 ans, surement plus. Il est dans une forme superbe et espère vivre longtemps encore. Il adore se balader en bus, il achète la « passe mensuelle » lui permettant d’aller le plus loin possible. Il a fait le tour du monde plus d’une fois, cela ne l’intéresse plus. Il a connu la guerre, les Allemands ont fait de la maison familiale leur quartier général, ensuite les Américains ont fait de même. Il est venu s’établir ici, a  milité pour l’indépendance du Québec, il a eu des enfants et le malheur a voulu que sa fille qui dansait pour la troupe de Maurice Béjart connaisse des problèmes de santé mentale après avoir eu une petite fille. C’est donc Louis qui s’est occupé de sa fille… et de la petite, tout en guérissant lui-même d’un cancer. Puis son épouse dut subir des interventions pour deux cancers. Il ne se plaint jamais de cela, son épouse non plus. Il se préoccupe des autres et me dit souvent que s’il était plus jeune, il trouverait une solution technique pour les malentendants.
Mercredi passé je ne suis pas allé travailler. Pendant la journée je suis allé au centre commercial local. Il y avait là beaucoup de vieux. Je crois que c’est toujours comme ça. Ils se rendent là, ils achètent des billets de loterie, ils prennent un café, ils sont mal foutus, mal rasés, mal peignés, pas fiers, ils se plaignent pour des broutilles, ils n’ont aucun projet. Je me suis dit que quelque part il y a un autre vieux qui est en route vers une destination quelconque, pour échanger et peut-être aider une personne qu’il connait, ou qu’il ne connait pas. Louis n’abandonne pas, il cherche à être utile, il apprécie les choses simples. En ce moment, il apprend le russe, on ne sait jamais, ça pourrait être utile. Combien y a-t-il de vieux comme ça? Vous connaissez certainement des gens comme Louis qui participent à la vie de tous, il faut apprécier ces personnes, leur dire.
Depuis que je sais que Louis vient parfois chez moi, le matin quand je quitte la maison, je me dis que ma demeure est entre bonnes mains.
 Grand-Langue