29 avril 2014

Fait Divers

Une Montréalaise, grâce à son abonnement au bixi, enfourche la bécane pour se rendre au boulot. Il est 06h15h, il y a peu de circulation, l’air frais s’engouffre dans ses poumons. Elle ignore que dans quelques minutes elle mourra. Pour l’instant tout va bien. Descendre St-Denis se fait à bonne vitesse, la pente est douce, régulière.
 Arrivée au tunnel, juste avant le Plateau, elle doit faire un choix : emprunter le trottoir ou poursuivre son chemin sur le bitume. Le vélo est considéré comme un véhicule, il doit rouler sur l'asphalte. Opter pour le trottoir implique descendre de son vélo et marcher. Elle choisira le bitume. Elle entame la descente, comme à tous les matins. Elle prendra de la vitesse, car l’élan aidera à remonter la pente, même avec le bixi qui est lourd.
 Un gros camion approche. Il y a peu d’espace entre la paroi du tunnel et la voie routière, elle doit se faire petite et espère que le conducteur lui laissera l’espace nécessaire. Pour une raison que nous ignorons, il passe près de la cycliste, trop près. Elle est projetée au sol puis se fait écraser par le mastodonte. Le décès est constaté à 06h30. Fin du récit. Peut-être y avait-il un nid-de-poule ou une accumulation de sable, le camionneur ne l’a peut-être pas vu du tout, qui sait? Tout était en place pour qu’un tel évènement se produise à cet endroit, un jour ou l’autre.
 Je passe une bonne partie de ma vie sur mon vélo. Je suis né à Montréal, j’ai arpenté toutes les rues et ruelles de la ville et j’y roule encore. Enfant, j’empruntais souvent le « tunnel de la mort », coin Iberville et St-Joseph. À l’époque on le surnommait déjà ainsi et les accidents mortels étaient fréquents.
 La ville n’est pas différente de la campagne. Il y a des secteurs dangereux partout. J’ai développé une façon de conduire qui me permet d’éviter les pièges, je conduis un peu pour les autres, en fonction des éléments. Je ne suis pas un modèle, j’invente parfois mes propres règles et je ne fais confiance à personne. En voiture c’est pareil, j’ai suivi des cours de conduite préventive. On vous apprend que tous les conducteurs sont des fous irresponsables et si vous avez un accident c’est de votre faute : vous aviez oublié la présence de ces fous et leur comportement imprévisible.
 Je peux dire que le comportement des uns et des autres (piétons, cyclistes et automobilistes) s’est amélioré au fil des ans, on dit que 88% des cyclistes sont aussi des automobilistes, j’ajouterai que cyclistes et automobilistes sont aussi des piétons et pourtant…. chacun gueule et traite les autres d’irresponsables. Pour une raison que je ne saisis pas, l’automobiliste refuse de ralentir, de rester derrière le cycliste temporairement, quand il n’y a pas d’autre option, le cycliste ne fera pas tous ses feux rouges, ne se positionnera pas toujours au bon endroit et ne se préoccupera pas assez des piétons. La loi de la jungle s’applique trop souvent : le plus lourd ne craint pas le plus léger. Chacun est dans son monde, chacun s’affaire sur son téléphone intelligent. Une cycliste est morte hier matin, la grande faucheuse attend sa prochaine victime. Peut-on tout prévoir? Peut-on protéger tout le monde contre tout? Non, mais on peut améliorer nos comportements, c'est plus important que de dessiner une ligne au sol.
 Et si on se comparait? Notre système routier s’est détérioré, le bitume est fissuré, bourré de nids de poule, sans accotements et inadapté à la diversité. Nous ignorons ce qu’est un passage clouté (ce qui n’est pas le cas aux É.-U. et dans le ROC) et les traverses pour piétons sont rarement peintes. Le comportement des conducteurs est pire ici qu’en d'autres endroits dits développés. Le camionneur est convaincu que le bitume lui appartient, que le nombre d’essieux lui octroie une priorité absolue et que les « maudits bicyks à pédal » n’ont rien à faire dans le chemin. Quand l’automobiliste devient cycliste, il agit de la même façon, avec la même condescendance envers les autres usagers. Il refuse de se séparer de son baladeur. Conducteurs, cyclistes et piétons « textent » tout en se déplaçant. Le problème serait-il en nous puisqu'il s'agit d'une seule et même personne?
 Chacun est dans son monde, personne ne prend le temps de vivre pendant ses transports. Pourquoi oublier notre sociabilité dès qu’on ferme les portières de la voiture? Des enfants jouent au hockey dans la rue, devant chez moi. J’aime les voir là, c’est aussi à eux la voie PUBLIQUE. L’un promène son chien, la voisine fait son jogging en compagnie du bébé qui dort dans la poussette. Au volant de mon bolide, ai-je des droits supérieurs aux leurs?
 L’accident mortel impliquant cette jeune femme constitue un fait divers. Mais voilà, les faits divers n’existent pas. C’est Martine Latulippe qui le dit. Les faits divers sont des drames, les faits divers bouleversent la vie des survivants, des proches. En vélo, à la campagne, il m’arrive de croiser des croix plantées par les proches de victimes de la route. J’ai le temps de lire ce qui est inscrit. Certaines croix sont ornées de fleurs, des fleurs qui sont remplacées régulièrement. Des proches souffrent donc toujours depuis qu’un fait divers s'est produit à cet endroit. Ce n’était pas un fait divers, c’était un drame, soyons conscients.
 Grand-Langue

2 février 2014

Attention au Bâillon

En pleine période de débat concernant l’interdiction de signes religieux dans la fonction publique, une musulmane meurt accidentellement après que son hidjab se fut coincé dans le mécanisme d’un escalier mécanique. Quelle mort atroce! Inévitablement, cela entraina des propos sarcastiques (mot à la mode : inappropriés) de la part d’individus actifs sur les médias dits sociaux. Quoi de neuf madame la marquise? Je ne suis ni surpris ni même très choqué (notez que je pourrais faire semblant).
Un incendie tue 32 vieillards dans une maison de retraite à L’Isle-Verte. Voilà un autre drame récent, une horreur. Quelques jours plus tard, près de moi, des gens font des jeux de mots en rapport avec le triste évènement. Certaines blagues étaient drôles, déplacées, mais drôles je l’avoue.
Se moquait-on des victimes? Des familles des victimes? Non, bien sûr. Le rire constitue une soupape pour tout ce qui nous empoisonne. Rire n’empêche pas de prendre la vie au sérieux, mais cela aide à ne pas se prendre soi-même au sérieux. Il serait facile de faire comme ces animateurs de radio et de télé : simuler une ambiance de deuil exagérée pour chaque mortalité annoncée, même si on ne connait pas les victimes ou les proches?
La vie continue. Nous devons penser aux vraies choses : faire l’impossible pour prévenir la répétition, dédommager la famille des victimes, les soutenir. Cela va de soi. Les exemples sont multiples, quotidiens sauf que lorsque le drame se produit dans notre société, il y a toujours quelques personnes pour exiger des lois, des façons de communiquer ou de parler sans froisser qui que ce soit. On voudrait que les autres pensent et agissent d’une seule façon : comme la nôtre. J’ai entendu des animateurs publics proposer l’usage d’un langage prédéfini, l’emploi de mots triés. Il ne faudrait pas dire telle ou telle chose, éviter tout propos susceptible de provoquer des remarques, des rires ou des cris. Bref, ça ressemblait à de l'autocensure. Rien n’est pire que l’autocensure.
Dans le pays qui se vante sans cesse d'être démocratique (sic) : les É.-U., on devait se taire après 911. Aujourd’hui encore, on peut procéder à des arrestations sous simple dénonciation aux É.-U. et dans plusieurs pays dits alliés. Fallait y être quelques mois après les évènements pour constater qu’absolument personne ne pouvait critiquer le président ou l’administration américaine en public sans risquer de se faire arrêter puis interroger. Quel rapport avec le sujet? La liberté d’expression. On ne pouvait qu’être avec eux ou contre eux, aucun espace à la critique, à la contestation.
Quiconque souhaite, par la censure ou la loi, faire taire ceux et celles qui pensent différemment, méprise le peuple. Cela revient à infantiliser le lecteur, le téléspectateur ou l’auditeur. Décider pour les autres c'est croire le public incapable de choisir, de filtrer. En limitant les mots et les opinions au public, comment pourrait-il juger? Ça n’a aucun sens.
Des cas moins clairs :
En France on a interdit un spectacle de Dieudonné. On accuse l’humoriste (son spectacle) d’antisémitisme. Je ne suis pas en mesure de me prononcer sur cette affaire. J’ai assisté à un tas de débats, d’attaques et de répliques et j'ignore encore de quoi il en retourne. Il y a du politique, des influences, etc. L’affaire est devenue tellement démesurée que les camps se sont polarisés : cul-de-sac, on interdit sans arrêter quiconque, étrange.
À Montréal on a refusé de louer les grandes salles pour les conférences de certains leadeurs musulmans prônant la charia, les contraintes (c’est le moins qu’on puisse dire) vestimentaires des femmes musulmanes, l’interdiction des femmes de travailler ou de vivre de façon libre, l’obligation aux femmes de se soumettre aux hommes.
Je n’approuve pas ces leadeurs religieux, ni les propos racistes, mais il faut faire gaffe de ne pas se bâillonner soi-même. Peut-être ne faut-il pas taire tout sujet délicat ou propos risquant d’exacerber les passions. Je sais que des orateurs mal intentionnés voudraient profiter d’un pays qui prône la liberté d’expression pour propager des propos haineux, diffamatoires ou discriminatoires, mais en laissant la parole à tous, les gens de bon sens pourront aussi s’exprimer et le public saura choisir, ne le sous-estimons pas. Il restera toujours la loi pour poursuivre en justice ceux qui vont trop loin. Après tout, nous vivons encore dans une société de droit.
Bref, il faut parfois réagir, peut-être interdire exceptionnellement tout en faisant gaffe de ne pas aller trop loin. Chose certaine, les paroles déplacées, les sarcasmes, l’ironie, l’humour noir, les paroles acérées et les critiques ne devraient pas faire partie des propos à bannir. Laisser un imbécile, même extrémiste, parler en public est moins dangereux que de museler une population, même de façon partielle.
Grand-Langue

11 janvier 2014

Mars One

Êtes-vous partant pour Mars? En ce qui me concerne, je passe mon tour. J’aime l’hiver mais une température moyenne de -67°C dépasse mon seuil de tolérance. C’est sans considérer le facteur éolien (comme on dit sur Terre), dans ce coin de l’Univers, les vents de 100 à 300 km/h sont courants! Pour un Terrien, l’atmosphère y est irrespirable, ce n'est rien pour m’encourager et on ne sait toujours pas comment protéger les cosmonautes du rayonnement cosmique (cancer, peau, yeux, etc.). Vous me direz que je m’attarde aux détails, c’est une manie chez moi. On dit que tout cela sera réglé car il reste dix ans avant le grand départ. Dix ans, c’est si court. Dans dix ans l’échangeur Turcot ne sera même pas complété!
D’autres questions surgissent : possède-t-on un vaisseau pour se rendre là-bas? Pourra-t-on y faire pousser des carottes? Il faudra voyager pendant sept mois avant d’arriver à destination. C’est long, plus long que d’aller à Cuba et une fois sur place, nos voyageurs devront encore vivre cloisonnés… pour le reste de leur vie. Nous parlons ici d’un voyage « one-way ». Les immigrants planétaires auront avantage à bien s’entendre, car il n’y aura personne pour régler les litiges, personne à qui se confier.
Le défi sera grand. Vivre dans les mêmes vêtements pendant plusieurs décennies sera « usant ». Se priver de promenades en forêt, de balades en vélo, de séjours au bord de la mer, de gueuletons entre copains constituera autant d’épreuves. Terminé le magasinage, les visites chez la coiffeuse et les sorties au cinéma. Nos amis devront se passer de leur médecin, leur dentiste et leur optométriste. D’un autre côté, fini les tracasseries administratives avec la municipalité ou le gouvernement, plus besoin d’aller à l’école ou d’obtenir un permis de conduire.
Tout cela coutera-t-il cher? L’organisateur de cette grande aventure est un Néerlandais. Il rêvait d’un projet excluant l’implication d’un gouvernement. Le secteur privé s’occupera de tout. C’est à la mode sur Terre. Les profits seront au rendez-vous, tant qu’il n’y aura pas d’obligations à rencontrer. Si ça dérape, le projet pourra toujours être transféré aux divers États terriens. On le sait, sur Terre les profits sont privatisés et les déficits étatisés.
Toujours selon Bas (le prénom du fondateur du projet), le tout sera financé par une téléréalité et la générosité du public. Notez qu’on vend déjà des t-shirts, des pièces commémoratives et d’autres gadgets du même acabit. Ainsi, des milliards de Terriens suivront les péripéties de 24 colons interplanétaires sur leurs écrans. Ces colons auront été sélectionnés grâce aux votes des téléspectateurs ($)! Le spectacle a besoin d’être bon, car si le public délaisse la série, le financement périclitera et les véhicules ravitailleurs ne partiront plus. Voir mourir les premiers colons constituera le moment fort de la série. Ensuite, puisque les téléspectateurs se nourrissent de nouveautés, il y aura une chute de l’intérêt et dès 2028 ils changeront de chaine.
Tout cela est à mes yeux, une grosse farce, voire une tromperie. Il y a de l’argent à faire, donc le projet vivra sans aboutir ou sera éternellement repoussé. N’empêche que je suis heureux que l’aventure spatiale redevienne populaire (surtout grâce à la Chine qui s’intéresse sérieusement à la chose). Depuis qu’un homme a marché sur la Lune, il me semble que l’intérêt pour l’exploration spatiale avait disparu chez le citoyen ordinaire. Personnellement, je me nourris des découvertes et divers travaux dans ce domaine. Les mêmes commentaires entendus en 1960 sont entendus aujourd’hui soit « … tant qu’il y aura des problèmes sur Terre, pourquoi dépenser de l’argent pour l'exploration spatiale ». C’est le raisonnement qui me déprime le plus. Christophe Colomb et Vespucci se sont butés aux mêmes arguments.
J’ignore pourquoi, mais l’être humain, comme c’est le cas pour les autres espèces, ressent le besoin de se reproduire, de se multiplier, d’étendre son territoire. Voilà pourquoi nous explorerons l’Univers, et plus encore. La curiosité et la recherche de nos origines constituent des motivations. Nous ignorons presque tout en physique, en astronomie comme dans les autres domaines. Nous commençons tout juste à comprendre que le temps n’existe pas sans le facteur « espace ». Plusieurs y voient la clé pour les longs voyages, pour sortir du système solaire. Nous mourrons tous avant de comprendre la chose mais puisque de générations en générations nous réussissons tant bien que mal à transmettre notre savoir, il faut creuser le sujet.
Ainsi, si Mars One peut faire revivre l’idée d’établir une colonie ailleurs que sur Terre, j’y vois un point positif. Cela dirigera notre regard ailleurs que sur nos propres personnes. Peut-être n’est-ce pas une mauvaise idée de prendre des routes hasardeuses pour susciter l’intérêt populaire. Néanmoins, je suis moins certain de cela. En prenant connaissance du projet Mars One, des questions me sont venues à l’esprit :
Quel sera le statut de Mars? Un pays? Une région? Un territoire? Une dépendance?
S’il y a naissance sur Mars, les nouveaux nés seront Martiens. Auront-ils un passeport?
Les Martiens (descendants de Terriens), devront-ils obtenir un visa pour venir sur Terre?
Quelle langue parlera-t-on sur Mars?
La Lune est Américaine (sic). Quel drapeau flottera sur Mars?
Va-t-on y établir un gouvernement? Y aura-t-il un ministère de l’immigration?
Un gouvernement martien établira-t-il ses propres lois?
Mars pourrait-elle se considérer indépendance face à la Terre?
Qui pourrait répondre à mes questions? Mars One se dit non gouvernemental, non politisé.
Dernière question, les Martiens pourront-ils participer aux J.O.?
Grand-Langue